Marie-Thérèse Balin
Ma mémoire n’est pas linéaire…Les souvenirs qui parfois m’assaillent surgissent inopinément, comme des morceaux de vie éparpillés…Ils sont souvent déclenchés par un son, par une odeur, parfois par un seul mot qui ne semble avoir aucun rapport avec le souvenir en question, mais qui, de fil en aiguille, me ramène à ce fragment de passé.
Aujourd’hui, je me suis revue élève de première et de terminale à l’école des Religieuses où j’ai passé toutes mes années scolaires entre les âges de 4 et 17 ans.
Je préparais le bac « D » (Sciences Expérimentales) parce que je comptais aller en médecine…Je revois la religieuse qui nous enseignait les matières scientifiques, sœur Saint-Guénolé (chacune de nos religieuses portait le nom d’un saint ou d’une sainte). Comme son nom l’indique, cette religieuse était d’origine bretonne. Elle évoquait parfois sa chère Bretagne avec un brin de nostalgie, mais sans trop s’y attarder.
Elle devait alors avoir la cinquantaine, grande, la peau assez brune, bien bâtie sans être grosse, mais vive et légère, les yeux pétillants, elle ne vivait que pour communiquer à ses élèves l’amour des maths, de la biologie, de la physique et de la chimie. Pour elle, les saints, ce n’étaient ni Saint Pierre, ni Saint François ni Sainte Claire… Ses saints à elle s’appelaient Lavoisier, Newton, Mendel, Linné, Niels Bohr, E. Rutherford et Pascal. Non pas le Pascal des Pensées, encore moins le janséniste mais celui du Traité sur le vide ou encore celui du calcul des probabilités.
Je me rappelle un certain matin, elle est arrivée en classe (pour un cours de Biologie) et nous a dit, avec un air tout réjoui et tout mystérieux, que ce cours allait changer nos vies…Me voilà, ainsi que mes camarades, toutes remplies d’excitation….Soeur Guénolé sautillait légèrement… préparait ses craies….ouvrait son livre…la grande « surprise » (surprise qui, je l’avoue, nous déçut quelque peu) fut un cours sur la fameuse découverte de la structure en double hélice de l’ADN par Watson et Crick. Elle nous montra avec une joie mal contenue un schéma de la structure de la fameuse molécule et nous recommanda de la reproduire sans erreur. Sa voix tremblante d’émotion, elle nous fixait pour s’assurer que nous partagions son excitation, et comme nous savions qu’elle serait morte de chagrin dans le cas contraire, nous nous mîmes à pousser des oh! Et des ah! (dénués de toute spontanéité) …
Il y eut d’autres réjouissances de ce genre…Le jour où elle nous annonça « nous avoir acheté de nouveaux microscopes ». Arrivées au laboratoire, nous vîmes une rangée de microscopes flambant neufs …alors que nous nous précipitions avec enthousiasme pour les essayer, elle nous défendit de les toucher, pour ne pas « les abimer » dit-elle!
Elle chérissait Mendel et nous a raconté maintes fois l’histoire de ses petits pois…Elle nous faisait faire des tableaux de croisements génétiques de toutes sortes (tout y a passé…maman aux yeux noirs + papa aux yeux bleux….maman yeux noirs mais porteuse de gènes yeux bleux + papa aux yeux bleux, etc). La mitose et la méiose n’avaient plus aucun secret pour nous. Mais si nous avions attendu avec hâte le chapitre sur « La reproduction », pensant en apprendre un peu plus sur « les choses de la vie », notre attente fut vite déçue. Avec Sœur Guénolé, tout est science, et, avouons-le, au niveau cellulaire, au niveau des mitochondries et des ribosomes, l’histoire d’Adam et Ève n’a rien de vraiment excitant.
Le bac en poche, je décidais d’aller faire médecine aux États-Unis. Sœur Guénolé fut ravie de ma décision. Elle pensait que je ferais « un excellent médecin ». Elle se trompa…Moi aussi, car avec le recul, j’ai réalisé que je n’aimais nullement la médecine. Cela dit, j’ai fréquenté l’université de Miami pendant trois ans, et pendant ces trois ans, Sœur Guénolé m’écrivait une lettre tous les 2-3 mois, que je recevais avec joie. Elle me décrivait toujours le temps qu’il faisait alors à Beyrouth, la couleur du ciel, l’odeur de la mer, les bruits qui varient avec les saisons, les parfums des fleurs, le son des oiseaux…Et je fus surprise de la poésie qui se dégageait de ces missives chez cette religieuse que je pensais être une puritaine des Sciences.
Je pense à elle souvent, avec tendresse. Elle nous a communiqué l’amour de ces matières qui peuvent être si sèches et si rebutantes, la curiosité, la nécessité et le désir de tout questionner. Je lui dois beaucoup!
À propos de l’autrice :
J'ai fait un doctorat à l'université de Toronto, au département d'Études françaises. Spécialité Dix-Septième siècle. Ma thèse fut soutenue en 2017, avec pour titre : "Hybridités génériques et discursives dans les Historiettes de Tallemant des Réaux". Je continue à donner des cours en tant qu’instructrice à l'université.