Francis Sancher

Stefania Rotundu

 

Francis Sancher, le mort étranger, parle, parle de l’au-delà et sa voix résonne dans la mangrove comme un vent tourmenté hurlant de la tombe. Il ne nous a pas quittés. Personne ne quitte vraiment la mangrove. Les racines les empalent. Il ne peut pas en être autrement dans ce lieu marqué par son passé accablant. Après tout beau bœuf, pré gras.

 

« C’est moi qui suis hanté. Le mort-vivant maintenant mort pour toujours, mort de la malédiction qui a entrainé mes aïeuls jusqu’à mon arrière-arrière-arrière-grand-père. C’est là où tout a commencé. Les gens comme moi peuvent-ils être secourus ? Je ne le saurais jamais. Mon sort était déjà décidé. 

 

Oui, je parle. Je parle de l’autre monde, mais il n’y pas vraiment de différence pour les gens comme moi. On vit toujours l’entre-deux, hanté par le passé. En vie, j’ai parlé, mais personne ne m’a vraiment écouté. Personne ne voulait entendre ni comprendre mes paroles. Ils avaient peur de me comprendre. Pour eux, c’était plus facile d’ignorer tout ce sang coulé, tous ces morts. C’était plus facile pour eux de m’ignorer et de me traiter de tous les noms. Qui étais-je pour eux ? Un perdu. Un maudit. Un errant.

 

Toute ma vie j’ai essayé d’y échapper, mais on ne le peut pas vraiment. C’est le sang qui pèse tellement lourd dans les veines et qui tache tout. C’est l’odeur de ce sang qui empoisonne l’air. Je l’ai découvert assez tard dans ma vie. Ma mère m’a remis les papiers qui racontaient l’histoire de notre famille venant de l’Habitation Saint-Calvaire à Rivière au Sel lors de la mort de mon père. Dès lors, je n’ai jamais pu oublier. J’ai toujours fui. Partir. Le seul moi qui m’était connu. J’ai essayé de me jeter dans des mouvements indépendantistes, mais ils ne m’ont offert aucun secours. Autrefois, j’avais de belles idées, mais elles n’étaient que ça, des idées. Je pensais en termes manichéens. Le bien et le mal. La justice et l’injustice. Je me suis jeté dans ces slogans pour lutter pour des opprimés qui me haïssaient. Je n’ai réalisé que tard dans ma vie que je courais vers la même fin.

 

Partout où je suis allé, en Afrique, en Amérique, à Cuba, il n’y avait pas d’espoir. Toutes ces colonies ont subi les mêmes effets. Ladite indépendance ne les a pas libérées. Non, par contre elles sont encore les prisonnières des hiérarchies basées sur le racisme et la haine. Ils sont encore les victimes de ces vestiges. C’était dans ces lieux, qui reflétaient le passé comme des miroirs, que j’ai découvert qu’il n’y a pas d’avenir libre. Le passé était partout. Il m’a toujours suivi. Il m’a toujours hanté. Alors, je suis retourné à Rivière au Sel. Le lieu où tout a commencé. Le lieu où mes racines se sont prises pour toujours. Le début qui serait justement la fin de tout. Mes aïeuls ont quitté Rivière au Sel, mais nous ne sommes jamais vraiment partis. Nos esprits n’ont pas pu quitter ce lieu. »

 

La mort de Francis Sancher, tout sauf naturelle, était quelque chose de tout à fait normal. Il y a un temps pour tout sous le ciel. Ce n’est pas le jour où l’arbre tombe à l’eau qu’il pourrit. Maintenant, c’est fini. Ce n’est plus le temps de la vengeance, mais le temps de la guérison.

 

*Ce texte est inspiré du roman de Maryse Condé, Traversée de la Mangrove, étudié dans le cours de littérature francophone donné par Professeure Faulkner. Le texte constitue l’ajout d’un chapitre créatif à la fin du roman faisant le portrait du personnage Francis Sancher.

 

À propos de l’auteure

Je m’appelle Stefania et je suis étudiante en 4e année dans le programme de français et de littérature française. Je finirai mes études de premier cycle en juin 2021 et à partir de septembre 2021 je poursuivrai des études de droit à l’Université d’Ottawa.